Le temps juste (tempo giusto)

Published by Alexandre Thibault on

La pause pour prendre le thé au bon moment - confinement 2020

En lisant Slow business de Pierre Moniz-Barreto, j’étais très intéressé par le concept de rythme, de cadence, que j’utilise souvent chez mes clients.

A la page 53 du livre, on peut y lire :

« Le rythme est partout et en tout : dans toute activité, un rythme s’instaure et se répète, et c’est ainsi que surgit le temps. L’homme est à la fois : Créateur de rythmes; Amené à se soumettre à des rythmes créés par d’autres (exogènes) ; Habité par son propre rythme (endogène), qu’il s’agit de reconnaître et valoriser. Et il doit constamment travailler à l’harmonie de ces trois dimensions. »

Jacques Porte

Le chapitre dans son ensemble est passionnant. Il a valu à lui seul l’achat du livre pour moi. Ce passage m’a rappelé que je suggère fréquemment de mettre en place un tableau de cadence pour la gouvernance de projet chez les clients que j’accompagne. On essaie d’y lister tous les rituels, meetings, comités et événements annuels qui gravitent autour d’une équipe.

Cadence board

C’est très ardu de les mettre en place, et je comprends mieux pourquoi aujourd’hui. On ne respecte pas le rythme de chaque individu d’un groupe par notre peur de ne pas optimiser le temps de travail. On préfère surcharger la barque des équipes, ne laissant pas de liberté aux individus de trouver leur cadence vitale.

Je pense, entre autres, aux lève-tôt ou les oiseaux de nuit. Je pense aussi aux parents, les sportifs, les travaillomanes, les rêveurs, les pratiquants religieux, bref, à la diversité qu’on rencontre dans un écosystème.  Cela m’évoque aussi la gestion du sommeil, des siestes, des vraies nuits réparatrices dans le bon « timing ». Pour plus d’information sur cet aspect et les rythmes endogènes, voici des ressources sur France Culture et France Inter :

J’écris ces mots en temps de COVID19 en 2020. Ce que je lis ici et là, c’est que certaines personnes découvrent un nouveau rythme, sans transport en commun. Certains font leur sport le matin, ou se lèvent plus tard, et se sentent mieux. Bien sûr que le confinement apporte d’autres effets négatifs, mais par rapport au travail, on rentre dans notre journée en cadence avec la bonne tonalité.

Personnellement, ma routine du matin est la suivante :

  • 06h00-07h15 : lecture de livres sans ouvrir mon téléphone portable
  • 07h15-07h30 : méditation avec l’application Headspace
  • 07h30-07h45 : trois leçons d’italien sur l’application Duolingo
  • 07h45-08h00 : préparation du petit-déjeuner
  • 08h00-09h00 : petit-déjeuner et moment privilégié avec ma femme
  • 09h00-09h30 : point du matin avec les collègues de ODDES par vidéo
  • 09h30… : travail pour les clients ou ODDES

C’est plus tard en journée que ça se gâche un peu si on ne fait pas attention à notre rythme intérieur. On se fait imposer d’autres fréquences par les collègues et nos managers. Tout le monde étant virtuellement disponible en continu, certains déclarent être plus fatigués à la fin de la journée qu’en temps normal. On a travaillé plus, on a fait moins de pauses. On ne parle plus alors de rythme soutenable comme l’on préconise en agile.

Rappel d’un des 12 principes du manifeste agile  :

« Les processus agiles encouragent un rythme de développement soutenable. Ensemble, les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs devraient être capables de maintenir indéfiniment un rythme constant. »

Manifeste Agile – 2001

L’aspect inhabituel et unique de la crise du coronavirus ne fait qu’accentuer à l’extrême les travers du système en place. Je déteste le management par interruptions. Actuellement les gens contactent les collègues par téléphone, zoom, SMS, Slack, WhatsApp, Skype, courriels, Jira, sans nécessairement qu’il y ait un protocole de communication dans l’équipe. On va casser le flot mental. Plusieurs études et ateliers démontrent les méfaits du multitâches et des interruptions brutales.

Dans une autre vie, je faisais partie des fondateurs d’une startup entre 2000 et 2003 à Montréal. Nous avions l’intuition avec les premiers employés de mettre en place des plages horaires. Voici grosso modo à quoi ça ressemblait :

  • 07h30-10h00 : heure d’arrivée en fonction du rythme de l’individu, petit déjeuner, l’équivalent d’un « daily standup meeting ».
  • 10h00-12h00 : focus sur son ordinateur, silence complet dans le bureau, on travaille sur ce qu’on a décidé pour la journée en concentrant son énergie.
  • 12h00-14h00 : déjeuner, convivialité, sport (il y avait une douche), sieste (il y avait des canapés), travail si on veut terminer plus tôt le soir, mais on sait qu’il y aura un peu plus de bruit dans les bureaux, sans que ça soit la cour d’école.
  • 14h00-16h00 : séance de focus à son ordinateur à nouveau, toujours concentré sur ce qu’on voulait accomplir dans la journée.
  • 16h00-17h00 : réunions de conception au tableau ou travail en pairs pour compléter le travail de la journée, on teste ce qu’on veut mettre en commun dans le code.
  • 17h00-18h00 : au besoin on fait les annonces des co-fondateurs niveau business, organisation, si quelqu’un doit absolument partir, on remet l’annonce au lendemain matin avant 10h00.
  • 18h00-19h00 : on part, ou on sort les bières, les jus et les chips, on partage des vidéos (c’était les débuts des partages intempestifs des mêmes et autres drôleries), on met de la musique sur Winamp, etc. C’est la fin officielle de la journée.
  • 19h00-00h00 : pour les motivés et amateurs, ou célibataires, jeux en réseau, parties d’échecs, ou on allait au petit bar du quartier Saint-Henri.

Ce retour d’expérience date bientôt de 20 ans. On n’a jamais raté une seule échéance pour un client. Les deux fois deux heures de focus étaient puissantes pour la réalisation des objectifs.

Ce qu’on peut en retirer : si on rythme le travail du groupe, tout en respectant le rythme de tout un chacun, l’énergie est canalisée, la santé et la satisfaction de tous augmentent, l’entreprise reste humaine.

Pour terminer, plusieurs boîtes apprennent de nouvelles pratiques avec le chaos du confinement. A quoi pourrait ressembler votre contexte avec les nouveaux apprentissages du télétravail ? Qu’est-ce que vous avez envie de garder ? Modifier ? Jeter ? Je vous souhaite une belle méditation !


Alexandre Thibault

Coach agile et d’organisation depuis 2013, Alex a pour ambition de faciliter la communication entre les différentes équipes d’une entreprise ou d’une direction, et pas que dans les départements IT. Il travaille avec le marketing, les ressources humaines, les comités de direction entre autres.